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The Pan African Music Magazine
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William Onyeabor, le mystérieux cow‑boy synthétique

La vie de ce génial inventeur de sons, décédé en 2017, demeure un mystère.

Tout comme la recette de sa musique, véritable ovni qui traversa la planète afro dans les années 80, avant de tout plaquer et de voir son nom ressurgir 25 ans plus tard grâce aux rééditions de Luaka Bop.


L’homme qui valait trois milliards de nairas

Qui était William Onyeabor ? La question qui servit de titre à une sélection posée en 2013 par Luaka Bop, demeure entière, ou presque, après la mort de l’aussi improbable qu’imparable claviériste nigérian, décédé le 16 janvier 2017 à l’âge de 70 ans. Apprécié pour avoir permis la redécouverte de figures majeures — Tom Zé, Shuggie Otis, Tim Maia… —, le label fondé par David Byrne avait une nouvelle fois suscité une vague d’adhésion en ressortant des oubliettes ce curieux bricoleur de sonorités pour le moins bizarres. Pour la confrérie des crate diggers, ces chercheurs de cire noire qui traquent les pistes insondées, l’affaire était bel et bien entendue, connue depuis un bail. Chacune des neuf galettes que William Onyeabor avait produit en une poignée d’années, entre 1977 et 1985, était du genre recherchée : son premier album, bande originale du film Crashes In Love réalisé par ses soins, s’est ainsi négocié à plus de 3000 € ! On l’y entend encore en mode acoustique. Cinq ans plus tard, en 1982, il en donnera une seconde version, cette fois en mode électronique. Le fossé entre les deux rappelle qu’entre-temps l’homme s’est mis aux claviers du genre pas tempérés Atomic Bomb, le grand millésime de 1978, et Good Name, un maxi de 1983 sur lequel il déclare « God is Love », demeurent des bornes de ce personnage qui aura traversé l’histoire telle une comète, comme il aura transpercé de part en part le spectre musical, retournant l’air de rien bien des clichés qui collaient à la peau de la musique afro. Finalement, à sa manière toute singulière (une candeur ésotérique doublée d’une prescience des claviers stratoféériques), William Onyeabor annonçait des lendemains qui allaient swinguer autrement de ce côté-ci de la planète musique. Écoutez donc sa version déjantée de « Body and Soul », qui n’est pas sans faire écho à ce que pouvait produire Bernie Worrell (Parliament Funkadelic) ou bien Herbie Hancock (à partir de « Sextant »), vigies des connexions cosmiques du funk à la même épique époque. 
 


Si tu te trouves dans le pétrin, Tu ferais mieux de venir danser ! 

« Si tu te trouves dans le pétrin, Tu ferais mieux de venir danser ! », clame le gourou de la new wave afro, qui deviendra dès le milieu des années 1980 pasteur. Avant cette conversion, ce prophète des synthés so cheap et si chics qui vont inonder le continent dans les années 1980 aura publié un dernier missile : Anything You Sow, où l’on y voit le Nigérian avec son éternel chapeau de cowboy, au milieu de ses claviers, aux manettes qu’ils tripatouillaient et bidouillaient à sa main. La légende dit même qu’il fut le pourvoyeur des mythiques Moog au Nigéria ! En évangéliste du DIY (do it yourself, « Fais le tout seul » en bon français), il aura pressé ses propres disques, comme il fabriqua ses films. Sa baseline : « La créativité à son meilleur. » À chaque fois, les galettes furent produites dans son fief, les studios Wilfilms basés à Enugu, la grande ville du sud-est du Nigeria où il était né. C’est d’ailleurs là que tout a commencé, et que tout s’est terminé, pour celui qui aurait grandi dans une famille de la working class, avant de partir — on se sait trop comment — étudier le cinéma à Moscou ! D’autres sources diront que ce fut le droit à Oxford. Qui sait ? Des gens d’Enugu pensaient même qu’il était russe, tellement sa musique était bizarre !

C’est nimbé de mystères qu’il réapparaîtra sur les radars au tournant de l’an 2000 à la faveur de quelques compilations à commencer par l’imposant Nigeria 70, où son hymne « Better Change Your Mind », transperce le disque de part en part. « Un truc qui ne ressemblait à rien d’autre ! Notamment la ligne de basse… », se souvenait en 2013 Duncan Brooker, collectionneur londonien qui fut l’auteur de cette sélection publiée chez Strut Records. Dessus, des claviers frénétiques, des saturations électriques et une voix qui scandait à la planète (Cuba, America, Russia, etc. y étaient interpellés) sa version du monde, bien au-delà des visions en noir et blanc. Comme des odes ondulantes qui renvoyaient dos à dos les voies dominantes d’alors. Clairement non aligné, ce « fantastic man », pour paraphraser un de ses morceaux d’anthologie devenu le titre d’un documentaire retraçant sa vie, était un personnage échappant à toute tentative de définition rationnel. Les chapelles, pas trop son truc, si ce n’est celles pour l’ardeur divine. 
 


Mais alors, qui était donc ce drôle de bonhomme au sourire lunaire ?

Une espèce de rencontre du troisième type entre George Clinton et Prince Charles, maîtres des claviers du funk ésotérique, hybridation de Larry Levan (apôtre du disco) et Can (prophète du krautrock)…  Onyeabor, comme un ultime remix de François de Roubaix (adepte des B.O. décadrées) vs Sun Ra (guide suprême des Minimoog, Celesta en autres curieux synthés) avec quelques tourneries boostées et des voix haut perchées qui ne sont pas sans faire un curieux écho au Black President de l’afro-beat, Fela. Comme ce dernier, il avait développé un toucher sans pareil, un truc décalé, aussi difficilement reproductible qu’irrésistiblement entêtant. Très jeune, William Onyeabor sut se brancher sur les claviers dernier cri, pour accoucher de la bande-son que l’on sait. Des outils rares et pas si donnés, notamment en Afrique. Par quels moyens se les est-il procurés ? La question reste elle aussi en suspension, mais ainsi équipé, il va devenir ce génie capable de faire se bouger n’importe quel cul-de-jatte, un gourou post-moderne de l’afro-rétro-futurisme.

Qui était William Onyeabor ? Un self-made-man, c’est certain, doté d’un sens aigu du business. Du genre hors du commun, là aussi. Lorsque Yale Evelev, boss de Luaka Bop, chercha à en savoir plus, au moment de finaliser le deal sur les rééditions, il eut pour unique réponse : « Je ne parle que de Jésus ! » Certes, mais tout à fait les pieds sur terre lorsqu’il s’agit de quitter le monde magique pour en venir aux choses plus prosaïques : le Nigérian avait investi ainsi dans une usine de farine de mil, ce qui lui aurait valu le titre d’entrepreneur ouest-africain de l’année en 1987 ! Il pilotera même un club de foot local. Une chose est sûre, dans sa ville natale, le bonhomme était le boss. Le dossier s’épaissit, mais le mystère demeure entier. Qui était donc ce musicien doté d’un vrai truc que certains appellent le génie ? « Après deux ans de recherches et trois voyages au Nigeria pour le rencontrer, je n’en sais toujours guère plus. Peu de gens ont la réponse, sa mère sans doute. Parfois, c’est cool de connaître les histoires, parfois c’est bien de ne rien savoir. » ironisait en 2014 sur RFI Eric Welles Nyström, chargé d’enquêter pour Luaka Bop. S’en tenant à la musique, Carl Craig, tutélaire chantre d’une techno planante avec son label Planet E, préférera toujours voir en cette météorite « un mythe de l’underground ». Ils furent nombreux, les esthètes des synthés, à commencer par Money Mark (connu et apprécié pour son travail avec les Beastie Boys), à dire tout le bien d’une musique définitivement hors-norme. Dans le grand concert de louanges post-mortem, chacun soulignera la classe visionnaire, mais aucun ne saura lever le mystère de l’atypique musicien. Parfois, c’est mieux ainsi.

Écoutez William Onyeabor dans notre playlist Afro Groove Party sur Spotify et Deezer.

Lire ensuite : 5 albums classiques du Nigeria des années 70

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